Destination idéale pour un weekend prolongé, Albi mérite qu’on lui consacre plus d’une journée. C’est pour cela que j’ai décidé de lui dédier plusieurs articles. Dans le premier, je vous propose une balade dans le Castelviel, l’un des plus anciens quartiers de la ville. Et aussi l’un de mes préférés ! Avec ses petites maisons coquettes, disposées en étages sur une butte naturelle, ses ruelles escarpées et ses placettes, le Castelviel a des airs de village. Mais ce joli décor cache une histoire un peu plus complexe. Bagarres, confiscations de biens, mises à l’écart, le Castelviel a été au cœur de nombreuses tractations au fil des siècles.
Depuis le train
Quand je me suis installée en Occitanie, je ne connaissais pas Albi, et je ne savais pas grand chose à propos de cette ville à vrai dire. Mais j’ai eu envie de la visiter, piquée par la curiosité, lors d’un trajet en train entre Rodez et Toulouse. Après avoir traversé les collines du pays Carmausin, alors que les rames franchissent le Tarn, les vitres du train encadrent tout-à-coup une vue magnifique sur le vieil Albi.
Le train contourne pendant quelques instants les ruelles du Castelviel. Et au dessus de cet amas de maison, on aperçoit la silhouette étonnante de la cathédrale Sainte-Cécile. Bref, il ne m’en a pas fallu plus pour être conquise !
Cœur historique d’Albi
Cette butte aperçue dans le train est considérée comme le berceau originel de la ville À l’instar de nombreuses cités d’Occitanie, Albi s’est développée à proximité immédiate d’un cours d’eau. Et tout près du point le plus haut disponible dans le secteur : un oppidum. Ce promontoire permet de dominer la vallée albigeoise. Parfait pour voir la position de l’ennemi et s’en protéger ! Les objets retrouvés lors de fouilles ont attesté d’une présence humaine au Castelviel dès l’âge du Bronze. Les populations vivaient probablement dans la vallée, mais elles utilisaient déjà cette butte pour se protéger.
Au Moyen-Âge, on continue à profiter de la protection qu’offre site. Car en effet, il se situe 30 mètres au-dessus des berges du Tarn, et à la limite d’un ravin, le Bondidou. Au fond de ce ravin se trouvaient autrefois des vignes et des jardins, arrosés par la rivière du même nom, le Bondidou, et un ruisseau, le Merville. Le lieu sert aujourd’hui de parking à ciel ouvert, au pied de la cathédrale.
Un château disparu…
On trouve trace du l’appellation « Castelviel » à partir 1130. Le nom signifie littéralement le château vieux en occitan (castèl vièlh), par opposition au quartier du Castelnau, le château neuf, situé dans le voisinage direct de la cathédrale. Mais de quel château parle-t-on ? De la maison-forte depuis lequel une famille riche, et très influente politiquement, régnait sur la cité au XIIe siècle. J’ai nommé les Trencavel.
Les Trencavel possédaient une bonne partie des provinces du Languedoc : vicomtés d’Albi, d’Agde, de Carcassonne, de Nîmes, de Razès et de Béziers ! Cette famille de seigneurs a eu un rôle majeur dans la croisade contre les Albigeois… Elle défendait les idées du catharisme, contre l’avis (et la puissance) de l’Église catholique. Et elle a tout perdu dans ce conflit.
Démantelé à partir du XVIIe siècle, le château des Trencavel se tenait sur l’actuelle place du Château. Pile poil à l’endroit où l’on trouve aujourd’hui un panneau #ALBI très photogénique, à côté du pont-rail qui traverse le Tarn. Au XIXe siècle, on a grignoté un bout de la butte pour les travaux du chemin de fer. Du coup, ce sont 8 mètres d’épaisseur qui ont disparu ! Le panneau ALBI se situe donc à l’emplacement des anciennes geôles du château… Un site insolite pour faire un selfie !
Et une église disparue !
Le Castelviel a donc été le premier « centre » d’Albi. Puis, à partir du XIe siècle, d’autres « bourgs » se sont développés. Après l’épisode de rébellion de l’hérésie cathare, l’Église catholique affirme son autorité avec de nouvelles constructions. C’est comme ça que Saint-Salvi et la cathédrale Sainte-Cécile voient le jour. La petite communauté qui vivait au Castelviel possède quant à elle son propre lieu de culte : l’église Saint-Loup (XIVe).
L’église n’existe plus aujourd’hui. Son ancien retable (sculpture derrière l’autel) a été déplacé dans la cathédrale à la Révolution. Mais sa tourelle pointue est quant à elle toujours visible, au 19 rue Saint-Loup. Le reste du bâtiment, plus récent, appartient à un café-salon de thé qui est en train de changer de propriétaire. J’espère que le nouvel établissement ouvrira bientôt ses portes ! Depuis sa terrasse, la vue sur le Tarn y est à tomber. Et on peut découvrir les vestiges de la tour depuis la salle à manger !
De bois et de briques
C’est lors de l’un de mes passages au café que je suis tombée sur un détail intéressant. En passant devant une maison, rue Saint-Loup, j’aperçois des traces de doigts sur les briques de la façade. Ces empreintes sont les témoignages discrets des travailleurs et travailleuses des briqueteries de la région. Au moment du démoulage des briques foraines, ces femmes et ces hommes (ou ces enfants) ont imprimé dans la matière ces petits souvenirs de leurs existences… Si vous ouvrez l’oeil, vous en verrez bien d’autres dans le quartier, mais aussi autour de Saint-Salvi et de la Madeleine !
Comme à Toulouse, on a ici construit avec les matériaux disponibles à proximité du site : bois, fibres végétales et argile. La pierre fera son apparition plus tard, lorsque les moyens de transports se seront développés. Les maisons les plus anciennes du quartier ont ainsi été érigées à partir de pans de bois, remplis avec des briques et du torchis. J’adore l’allure de cabane que cela leur confère.
Les « tiny houses » d’Albi
Justement, je bifurque maintenant vers la star d’Instagram, la place Savène ! Ce petit îlot aux allures de village a la particularité de posséder de très anciennes… Tiny houses ! En effet, on y trouve des maisonnettes à colombages dont la surface au sol se situe entre 18 et 30 m2 (comme ¼ des maisons du quartier) !
Plus qu’un désir esthétique, à l’époque de leur construction, il s’agit d’essayer de payer moins d’impôts. L’astuce consiste à construire des maisons « à encorbellement », c’est-à-dire que le premier étage est plus large que l’emprise au sol du rez-de-chaussée. Au XVIIe siècle, la loi sur alignement met fin à cette architecture maligne. Dommage !
Bien sûr, on n’oublie pas que la place Savène est un lieu d’habitation. Votre discrétion est donc requise pendant que vous profitez de ce joli décor. On ne dérange pas les habitants, qui ont droit à leur tranquillité, ni les pôtits chats qui dorment devant les maisons !
Un quartier marginalisé
On l’a vu plus haut, après la croisades des Albigeois, les Trencavel, principaux seigneurs de la ville au XIIe siècle, « perdent » le Castelviel. Le quartier ne fait plus partie du vicomté d’Albi : il est rattaché au comte de Castres par Simon de Montfort (1229). Disjoint de la ville, il forme dès lors une communauté indépendante. Ses consuls siègent dans la maison commune face à l’église Saint-Loup.
À cette époque, le chantier de la nouvelle cathédrale démarre juste à côté de l’ancienne église romane et de son cloître, à quelques mètres du Castelviel.
Un rempart de protection ceint déjà cette esplanade depuis le Xe siècle. Mais vers 1350, un nouveau mur vient séparer le Castelviel des autres bourgs. L’îlot est donc triplement isolé : par sa géographie, par une muraille, et politiquement. Il restera ainsi à l’écart de la ville jusqu’au lendemain de la Révolution française.
Quand les murs tombent…
La construction de la muraille impose aux habitants du quartier de passer par des portes fortifiées pour entrer et sortir du quartier. Elles ont aujourd’hui disparu, mais la toponymie des rues et des monuments du quartier rappelle leur existence. C’est le cas pour la rue du Théron, du nom de l’ancienne porte, et qui signifie littéralement « source ».
À l’autre bout du quartier, c’est la Trébalhe qui permettait de passer dans la rue principale du Castelviel. Ou Trébaille. Ou encore Thebalha. Bref, Travaille en français. Là aussi, il n’en reste rien. Seule une fontaine porte encore son nom, à côté de la cathédrale. Son bassin s’étend le long d’une allée de marronniers, au bout de laquelle on trouve trois arches de pierre. Ces arcades sont les derniers vestiges du cloître roman qui se tenait là. L’ancienne porte était d’ailleurs parfois appelée « porte des Chanoines » en référence à ces religieux.
Des ponts vers la modernité
Une fois les murs tombés, le quartier s’est peu à peu désenclavé. Mais ce sont les ponts qui ont vraiment permis au Castelviel de retrouver sa place au cœur de la cité. Attention ! Le paragraphe suivant contient des allusions à la bidoche.
Depuis le Moyen-Âge, les eaux du ruisseau du Bondidou rougeoient sous le travail de l’égorgeoir. L’abattage du bétail y estt effectué sous la surveillance des consuls de la ville. En 1843, cette activité se déplace non loin de là, on bord du Tarn. La construction du nouvel abattoir redynamise le quartier (et fait le bonheur des nombreux pêcheurs, car ça mord dans ces eaux où grouillent les restes d’animaux).
On a du mal à imaginer la grande animation qui règne alors près des berges ! La présence de l’abattoir donne lieu à la création de nombreuses foires accueillies sur le foirail du Castelviel. Les moulins tournent à plein régime, et les gabares flottent sur le Tarn, toutes chargées de marchandises. Plus loin, on transforme le chanvre en fil textile grâce à un moulin à foulon (pour fouler le textile, l’aplatir). Car oui, on cultivait du chanvre au bord du Tarn (d’où les noms de Canabières ou Canavières ? ). Dans la fonderie Gillet (devenue une SCOP), on usine des pièces de métal pour travailler la terre. Bref, ça bosse !
Albi s’étend donc vers l’Ouest. Pourtant, le fossé du Bondidou demeure. Et il tient le Castelviel à distance de cette nouvelle effervescence. Mais en 1849, la construction du pont de la République change tout. Véritable trait-d’union entre ces nouveaux faubourgs de travailleurs/euses, et les autres bourgs historiques, il permet de franchir un obstacle séculaire en quelques minutes à peine !
Tchou-tchou…
De l’autre côté de la rivière, la ligne de chemin de fer hippomobile achemine le charbon des mines de Carmaux jusqu’au quartier de la Madeleine. Le viaduc ferroviaire construit en 1866 connecte la Madeleine au centre ville, en passant devant le Castelviel… Par-dessus le pont de la République ! On transporte tout d’abord du minerai, puis bientôt des voyageurs.
C’est ce même pont que j’ai emprunté la première fois que j’ai vu le Castelviel. Sous le pont, une passerelle piétonne aurait dû voir le jour. Mais le chantier est suspendu. Les différents protagonistes se renvoient la balle… Au-delà des polémiques qui l’entourent, ce projet devait surtout permettre de redonner un coup de boost au Castelviel, qui s’endort dans l’ombre de la cathédrale. Les commerces se font rares dans ce petit pâté de maison. Alors une passerelle pour marcher au-dessus du Tarn, ç’aurait été une aubaine ! Pour que le Castelviel ne soit pas qu’un quartier-musée, mais se réinvente.
Encore une fois !
Cet article participe au rendez-vous mensuel #EnFranceAussi organisé par Le Coin des Voyageurs et « la boss du mois », Claire, du blog Deux tortillas et la fleur de lys.
Le thème de février 2023 était « Balade en ville » : découvrez les articles des autres bloggeur·euses en cliquant ici !
Informations pratiques
Pour préparer votre séjour
Office de Tourisme d’Albi
Accueil face à la cathédrale Sainte-Cécile, 42 rue Mariès. Toutes les infos en ligne : www.albi-tourisme.fr
Se restaurer, boire un verre
Au 14:80, 10 place Monseigneur Mignot. Un chouette endroit à proximité du Castelviel, caché derrière la cathédrale (à l’ombre l’été !). Détails et horaires par ici.
Faire son marché
Marché « locavore » le jeudi soir de 16 h à 20 h. Halle du foirail du Castelviel. Marché de producteurs : maraîchers, apiculteurs, fromagers, vignerons, boulangers proposent leurs produits locaux (provenant de moins de 60 km d’Albi).
Chiner
Marché aux puces le samedi de 8 h à 12 h. Halle du foirail du Castelviel. Stands d’antiquaires et de brocanteurs.
Association de quartier
Vous pouvez suivre l’actualité de l’association de la Butte du Castelviel sur sa page Facebook.
Merci beaucoup pour ces belles photos j’ai vécu au Castelviel toute mon enfance , a la fontaine du Théron j’allais chercher des têtards je devais avoir 7 ou 8 ans. Merci pour ce reportage ça m’a réveillé des souvenirs.
Merci pour votre commentaire, Sylvie ! Je suis ravie d’avoir contribué au « réveil » de ce joli souvenir !
D’Albi, je ne me souviens que de la cathédrale, qui m’avait vraiment impressionnée, tant de l’extérieur que de l’intérieur (ses couleurs !). Bref, tu me donnes envie d’aller musarder à Castelviel, et plus largement dans cette belle ville.
Merci Delphine ! Au plaisir de te faire (re)découvrir la ville si tu passes par là !
J’avais beaucoup aimé visiter la ville rouge d’Albi quand j’étudiais à toulouse. Merci pour ces info complémentaires sur la ville.
Avec plaisir ! J’ai hâte de raconter la suite !
Super reportage, ça donne très envie d’y aller, la ville est superbe ! 😀
Merci pour ce commentaire, ça fait chaud au cœur ! Albi est magnifique, je ne me lasse pas d’arpenter ses rues.