Drummond de Andrade, l’actualité au Brésil, mes amis, la résistance, la poésie. Chronique diffusée lundi 8 octobre 2018 dans l’émission Excusez-moi de vous interrompre sur Radio Mon Païs- 90.1.
Poème contre « lui »
Mon ami Haroldo Garay vit à Salvador de Bahia. Il est scénographe. L’autre soir, il a déclamé un poème, à la tombée de la nuit, sur la petite terrasse de sa petite maison de pêcheur, avec vue sur une petite crique de la baie de Bahia (cliquez pour voir la vidéo).
C’est sa participation poétique au mouvement de résistance #EleNão (#PasLui).
Pas lui ! Une exclamation qui désigne bien évidemment le candidat misogyne, raciste, homophobe, nostalgique de la dictature militaire de 1964, défenseur de la peine de mort et du port des armes à feu, le député du parti d’extrême droite PSL, tiens, dommage, à une inversion de lettres près, ça aurait pu nous faire rire… Bref. #EleNão s’adresse à Jair Bolsonaro.
Élection anxiogène
Hier, les brésiliens passaient dans l’isoloir pour choisir leur prochain président dans un climat totalement anxiogène. Pour rappel, la candidature de l’ancien président a été invalidée – Lula est en prison – la corruption gangrène le pays, la violence fait des ravages : 60 000 homicides l’an dernier, dont 7 % seraient imputables aux interventions policières (des victimes de balles perdues), et , pour couronner le tout, environ 13 millions de chômeurs.
Jair Bolsonaro. 63 ans, ancien capitaine de l‘armée, crédité à plus de 35 % des intentions de vote avant le 1er tour, et sorti hier avec un score de 46 % des voix. Mes amis brésiliens sont sous le choc, ils oscillent entre entre la rage, l’effondrement et la stupeur. Des émotions que nous connaissons bien. Mais revenons à la poésie.
Monsieur Drummond
Haroldo récitait quelques vers de Carlos Drummond de Andrade, un poète brésilien né au tout début du siècle dernier dans le Minas Gerai, une région montagneuse du pays. Fils de propriétaire terrien, destiné à une carrière de laborantin en pharmacie, Drummond de Andrade se marie très jeune et travaille comme comme professeur de lycée.
Drummond de Andrade participe à la fondation de la revue A revista en 1925, qui véhicule déjà les prémices du modernisme brésilien, et publie son premier recueil de poésie, Algumas poesias, en 1930. En 1934, il quitte sa terre natale, et part s’installer à Rio de Janeiro pour rejoindre le Ministère de l’Éducation et de la Santé.
Sentiment du monde
Écrivain prolifique et engagé, Drummond de Andrade compose de nombreux recueils de poésie, des textes en prose, des chroniques journalistiques et des nouvelles. En 1940, il publie Sentimento do mundo – Sentiment du monde, recueil d’où est extrait Congresso Internacional do Medo, que Haroldo a déclamé en brésilien, et dont voici la traduction française :
Congrès international de la peur
Provisoirement nous ne chanterons pas l’amour,
qui s’est réfugié plus bas que les souterrains.
Nous chanterons la peur, qui rend stériles les embrassades,
nous ne chanterons pas la haine car elle n’existe pas,
seule existe la peur, notre mère et compagne,
la grand-peur des sertões, des mers, des déserts,
la peur des soldats, la peur des mères, la peur des églises,
nous chanterons la peur des dictateurs, la peur des démocrates,
nous chanterons la peur de la mort et la peur d’après la mort,
et puis nous mourrons de peur
et sur nos tombes pousseront des fleurs jaunes et craintives.
On peut retrouver ce poème dans une anthologie parue en 2005 chez Gallimard sous le titre La machine du monde et autres poèmes. On pourra aussi se régaler avec La mort dans l’avion, regroupant des poèmes édités en brésilien et en français, une jolie édition bilingue parue chez Chandeigne en 2014.
Plusieurs recueils de Drummond sont consultables à la bibliothèque d’étude et du patrimoine, et peuvent être empruntés à la médiathèque José Cabanis, à Toulouse.
Vous pouvez bien évidemment vous les procurer auprès d’une librairie indépendante, au même prix que dans n’importe quelle enseigne, puisqu’en France, le prix du livre est le même partout, quel que soit le commerce, grâce à une loi votée en 1981.
Pour finir, je vous quitte sur Opinião, un titre composé par Zé Keti et interprété par celle qu’on appelait la muse de la bossa nova, Nara Leão.
Le morceau a été diffusé sur les ondes en 1964, quelques mois avant le coup d’État qui a fait basculer le Brésil dans une dictature militaire, dictature a duré 21 ans. Que dit la chanson ? « Vous pouvez m’arrêter, vous pouvez me frapper. Vous pouvez me laisser sans nourriture, mais vous ne me ferez jamais changer d’opinion. »
Excusez-moi de vous interrompre, en direct sur Radio Mon Païs (RMP pour les intimes) tous les lundis à 17h.
Rediffusion lundi 22h – mardi 11h – samedi 16h30.