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Manuel d’exil

excusez moi de vous interrompre radio mon pais

Manuel d’exil : Velibor Čolić décrit cette drôle de quête d’identité des apatrides dans un petit bouquin qui résonne avec notre actualité. Chronique diffusée lundi 14 janvier 2019 dans l’émission Excusez-moi de vous interrompre sur Radio Mon Païs- 90.1.

 

Réussir son exil ?

Aujourd’hui, on va parler de déracinement avec un bouquin de Velibor Čolić :

Manuel d’exil

et son sous-titre qui annonce déjà le décalage ironique de l’ouvrage :

Comment réussir son exil en trente-cinq leçons

Velibor Čolić y déroule en 35 chapitres son histoire, l’histoire de son exil. Il raconte notamment son quotidien dans le foyer de demandeurs d’asile de Rennes, où il échoue à l’été 1992.

Le premier jour, une dame aux énormes lunettes lui explique le fonctionnement du foyer, des parties communes, et lui indique qu’il a droit à un cours de français pour adultes analphabètes, trois jours par semaine. Analphabète ? Lui, le romancier, l’auteur de nouvelles ! Bac plus 5 ! Il est piqué dans son orgueil.

Velibor Čolić est né en 1964 en Bosnie. Écrivain et chroniqueur dans une radio locale, il est enrôlé dans l’Armée bosniaque aux pires moments de la guerre. Il y sera le témoin des abominations commises dans les tranchées, et les villages qui ont connu la « purification ethnique  ».

Il déserte, il est fait prisonnier, mais il parvient à s’enfuir. On le retrouve, au début du roman, dans un jardin publique, à Rennes. Il a 28 ans, pas un rond en poche, pas un contact dans ce pays étranger.

Terrible frontière

Dans son Manuel de l’exil, Čolić dessine la cartographie détaillée d’une frontière, l’une des plus terribles, pleine de miradors et de sentinelles, celle à l’approche de laquelle il faut sans cesse rendre des comptes à tout le monde, se justifier : la frontière de la langue.

Il est arrivé dans l’Hexagone avec 3 mots de français sous son palais : Jean –  Paul –  Sartre.

Le reste, il l’apprendra sur place, soignant son trouble de stress post-traumatique à coup de bière, de gnôle, de jaja, et d’écriture. Il écrit dans sa langue natale, et tente de parler en Français. Il s’accroche comme un demeuré à sa fierté – il est écrivain – et à son seul objectif : faire plier cette langue barbare, car la maîtrise de cette dernière, il l’a bien compris, sera sa planche de salut ici. Quand on lui demande, pour une potentielle formation, quel concours il veut passer, il répond : le Goncourt.

  • Quoi quel concours ?
  • Non, le Goncourt.

Il veut devenir écrivain. Un écrivain français.

Le temps du récit

Sur RFI, Čolić avouait avoir réécrit plusieurs fois son récit, sans comprendre vraiment ce qui clochait. En fait, c’était le temps : impossible d’envisager un imparfait, un passé composé, encore moins un passé simple à cette narration de l’exil. Le récit devait être au présent, d’un bout à l’autre.

20 ans après le début de son exil, Velibor Čolić décrit cette drôle de quête d’identité des apatrides, qui ne pourront plus jamais être ce qu’ils ont été hier. Cette page blanche, qui s’impose au réfugié. Cette particularité de l’exil, qui réside dans son intemporalité : il constitue un état permanent pour les exilés.

Et nous ?

En parlant de déracinement, un chiffre à retenir de l’année 2018 : 2262 exilés sont morts en tentant de traverser la Méditerranée.

Il y a quelque jours, le New York Times a diffusé une vidéo, fruit d’une enquête menée avec des chercheurs britanniques, sur des faits survenus le 6 novembre 2017.

Leur reportage montre comment les gardes-côtes libyens, financés par l’Europe pour intervenir dans une zone géographique délimitée, au large des côtes libyennes, ont volontairement laissé des personnes en détresse se noyer sous leurs yeux, tout en menaçant physiquement l’équipage de l’ONG allemande Sea-Watch qui tentait d’intervenir.

Les migrants montés à bord du navire libyen ont été battus. Plusieurs se sont jetés à nouveau à la mer pour échapper aux coups. Tout autour, la panique, les corps se débattant, les cris désespérés. Plus d’une vingtaine d’hommes, de femmes et d’enfants se sont noyés ce jour-là, dont 15 avant l’arrivée des secours. 5 personnes sont mortes pendant l’intervention de l’ONG.

Le Sea-Watch a pu secourir 58 personnes. Quarante-sept autres sont reparties avec l’équipage libyen. Selon les témoignages, elles ont été battues et enfermées. Certaines ont été vendues à un réseau d’esclavage.

Fin décembre, le Sea-Watch et un autre navire allemand, le Sea-Eye, ont été bloqués en pleine mer au large de Malte, tenus à distance par les gardes-côtes, avec 49 naufragés à bord, pendant plus de deux semaines, la Valette comme Rome refusant une fois de plus de les laisser débarquer. C’est un sujet de doléance qu’il ne faudra pas oublier de mentionner lorsque nous répondrons à la longue lettre que le Président vient de nous adresser.

 

Voilà. Comme je ne savais pas comment conclure cette chronique, j’ai demandé à Michel de nous passer un morceau de Maxime Le Forestier, Né quelque part, histoire de respirer un peu.

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