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Canal du Midi Étape 10 : de Béziers jusqu’à Marseillan à pied

halage port Pointe des Onglous embouchure

Nous voici parvenus au bout de la série d’articles sur le canal du Midi, avec cette dixième étape. Elle devait être l’avant-dernière, mon projet initial étant de faire le périple en 11 jours de marche. Tout compte fait, elle s’est transformée en étape finale, de Béziers à Marseillan, à pied… Mais je ne vais pas tout raconter dans l’intro !

 

Point kilométrique 208

Après une super soirée à Béziers en compagnie de ma petite clique toulousaine, je traîne une partie de la matinée sur la terrasse de l’ancien bar des bateliers, devenu le Café de Plaisance. Quelques litres de caoua plus loin, un bisou aux coupaings, et hop, il faut déjà repartir. Je me trouve presque en face de l’écluse de Béziers, où je m’étais arrêtée la veille. J’ai un doggy-bag de compète’ préparé par la maman de mon ami dans le sac, et du temps devant moi… Alors, pour la première depuis Toulouse, poussée par la curiosité, je pars à contresens.

écluse béziersrhumerie béziers canal

Je me dirige vers le point de confluence entre l’Orb et le canal du Midi. Parvenue au fleuve, une passerelle me permet de rejoindre le pont Rouge, aux extrémités duquel se trouvent des pierres passes-cordes, élimées jusqu’à l’os. Je repars tout de même en sens inverse, direction Agde. Je longe l’avenue du Prado, qui est en fait plus un chemin entre le canal et l’Orb, bordé de charmantes bâtisses anciennes, et de quelques bornes dominiales en pierre de basalte marquant les limites du domaine du canal du Midi.

chasse roue pont canal béziersborne dominiale béziers canal

Revenue à hauteur de l’écluse de Béziers, le chemin de halage continue sur une voie verte,  terrain de jeu des joggeurs et des vélocipèdes. À un kilomètre de là, un pont levant datant de 1923 est suspendu au-dessus du canal du Midi. On oublie souvent que l’Occitanie, même si elle est considérée comme région rurale, possède un riche passé industriel, dont ces types d’édifices sont les témoins. Réhabilité après 40 ans d’abandon, ce pont assure une liaison ferroviaire entre la gare de triage de Béziers et les établissements Cameron (autrefois établissements Fouga). De loin (comme de près), on ne le croirait pas assez solide pour faire passer du matos dessus…

canal béziers piétons cheminpont fer canal béziers

Je croise encore quelques sportifs, et puis je suis à nouveau seule sur le chemin de halage. Il reste quelques platanes dans les environs ; ils m’apportent, par endroits, un peu d’ombre et de fraîcheur.

allées canal bézierschemin de halage béziers

Très vite, je retrouve la monotonie des grandes lignes droites, sur lesquelles j’ai souvent progressé ces derniers jours. Comme ici, sans croiser âme qui vive. Je sifflote les premières notes du Bon, la Brute et le Truand de Morricone. Et celles de Midnight Cowboy

Puis ouf ! Au bout de 4 longs kilomètres, j’atteins l’écluse d’Ariège à Villeneuve-les-Béziers (1676), encore notée écluse d’Arièges sur la plaque de cocher… Enfin une incidence dans le paysage !

écluse ariègeborne basalte béziers

Tout de suite après l’écluse, l’autoroute A9, aka la Languedocienne, passe au-dessus d’un pont moderne. C’est un coin à graffeurs, comme on le voit sur les piles du pont (avec notamment un lettrage de l’artiste Donut sur la 2e photo). En face du chemin de halage, un petit canal de fuite semble s’échapper le long de la route. Des canards y «chillent» tranquilles, au soleil, installés en rang d’oignon sur une sorte de parapet.

pont moderne bézierspont moderne béziers

Point kilométrique 213

Je presse le pas pour m’éloigner au plus vite du bruit du trafic. Un kilomètre plus loin, une vanne d’épanchoir ou de déversoir surgit en amont de l’écluse de Villeneuve et de sa maison éclusière. Ici, le canal croise un canalet qui cours jusqu’au centre ville de Villeneuve-les-Béziers.

vanne canal du midiécluse villeneuve

J’en profite pour faire une petite pause pour bander mes épaules, blessées par le frottement des lanières depuis plusieurs jours. Puis je regarde, aux côtés de quelques badauds, des bateaux manœuvrer dans le bassin de l’écluse.

écluse villeneuvepont villeneuve

À la sortie du bassin, le Pont Canal, très fleuri et orné de drapeaux, domine la petite halte nautique de la ville.

pont villeneuvepont villeneuve

Le point d’accueil de l’office de Tourisme est installé dans une pénichette en bois, sur les quais. Dans le même secteur, je croise des embarcations de tailles impressionnantes…

pont villeneuve office du tourisme villeneuvepéniche vers villeneuve

… Comme cette péniche, dont la coque ancienne, en métal, est ornée de graffs originaux.

péniche vers villeneuve graffpéniche vers villeneuve graff

Pas de platanes dans le coin, j’avance sous le soleil mordant. Je croise un réparateur de bateaux et, un peu plus loin, un cheval à deux têtes… Je n’ai pourtant pas encore pris l’apéro !

ship repairs péniche vers villeneuvecheval bicéphale

Ma route se poursuit sur une grande ligne droite interminable et recouverte de macadam, mais heureusement bordée de nombreux bateaux de toutes tailles, dont la contemplation m’occupe un peu.

péniche vers villeneuvechemin halage vers villeneuve

La marche continue sur le bief de Portiragnes. Je profite de quelques tâches d’ombre à hauteur d’un pont étroit, moderne, en métal, et qu’un viticulteur local a décidé de baptiser «pont de Caylus» ( il a donné le même nom à l’une de ses cuvées).

chemin halage vers villeneuve bacchus bateaupont moderne villeneuve

Du côté de Cers, je dépasse plusieurs petits restos qui ont l’air sympas.

bateau bleu restopéniche villeneuve

Plus loin, un pont de pierre qui ne ressemble à aucun autre . Il rompt la monotonie du paysage avec son mur imposant, et son arche particulièrement haute. A priori, il s’agit du véritable «pont de Caylus».

Arrivée à hauteur du resto La Gambille, une guinguette estivale, les serveurs sont en train de préparer le service du midi, la musique à fond. Ils  esquissent quelques pas de danse en me voyant passer 🙂

pont de villeneuvettepont de villeneuvette restaurant

Toujours sur le macadam, les pieds commencent à souffrir dans les chaussures de randonnée pas vraiment adaptées au revêtement. Ça tombe bien, j’aperçois l’écluse de Portiragnes au loin, où j’espère trouver à nouveau un peu d’ombre.

écluse de portiragnesécluse de portiragnes

Point kilométrique 218

Déjà 10 kilomètres de parcourus. Je vire mes pompes, enfile des runnings plus légères et me repose un peu sous un arbre, en contemplant la vigne environnante… Et en grignotant une petite part de pizza de la veille !

écluse de portiragnesvignes vers villeneuvette

Je fais le tour de la maison éclusière, au rose fané (elle aurait besoin d’un coup de peinture fraîche). Je cherche un point d’eau car le chemin continue à partir de là au milieu de la pampa : encore 13 km avant d’atteindre Agde !

écluse de portiragnesécluse de portiragnes maison rose

Un gars des V.N.F. m’indique où se trouve le point d’eau. On papote un peu pendant que je remplis mes gourdes, mais je sens que son regard est attiré vers les compeeds que j’ai collé sur mes épaules, et que je protège avec des socquettes (pour éviter le frottement des lanières du sac) !

Je me remets en route et suis le chemin de halage qui passe traverse la commune de Portiragnes. Après un petit pont refait à neuf, je croise un épanchoir (ou un déversoir).

chemin après écluse de portiragnesépanchoir ou déversoir écluse de portiragnes

Toujours sur le macadam et sous le soleil, j’admire les très légers changements de paysages, bercée par le rythme de mes propres pas.

Pas un chat dans les environs. Ça tombe bien, parce qu’avec les cafés et toute l’eau bue depuis le matin, une pause pipi s’impose.

chemin de halage après écluse de portiragnespaysage après écluse de portiragnes

Je suis toujours la voie d’eau, aux abords verdoyants ; mais dès que je tourne la tête du côté de la campagne alentour, c’est un spectacle d’herbe sèches, bruissant de l’activité de milliers d’insectes, qui s’offre à moi.

paysage après écluse de portiragnespaysage après écluse de portiragnes

Toujours sur le bief de Portiragnes, je tombe sur un nouvel épanchoir. Avant le départ, j’avais repéré qu’il y en avait toute une série dans le coin. Ils ont été construits à partir de roches volcaniques. Les pierres étaient extraites dans une carrière tout près de là, sur un plateau basaltique, vestige du plus jeune volcan du Languedoc, le volcan de Roque-Haute. Aujourd’hui fermé, le site a été classé réserve naturelle protégée.

Entreprendre le trajet à pied de Toulouse à Marseillan permet aussi de voir ces évolutions dans l’architecture des ouvrages du canal, selon les matériaux disponibles dans chacune des régions qu’il traverse : briques foraines, pierres calcaires, pierres blondes… Et par ici, le basalte.

Le chemin longe maintenant une série de vignes et ENFIN, le macadam disparaît ! J’ai l’impression de marcher en chaussons, ou pieds nus sur une moquette moelleuse. La marche redevient agréable. Il ne manque plus qu’une petite brise, et ce serait parfait !

Je dépasse le port Cassafière le sourire aux lèvres. Comme d’habitude, la blancheur immaculée des vêtements des équipages des bateaux de location tranche avec mon ensemble short en jean + t-shirt recouverts de poussière. Et comme d’habitude, mes socquettes sur les épaules font leur petit effet. Je crois que je vais lancer une nouvelle mode estivale dans le Sud…

Toujours NOBODY sur le chemin de halage. Ma route croise celle d’un nouvel épanchoir, un peu moins en vrac que le précédent. Je quitte progressivement la commune de Portiragnes mais pas l’interminable ligne droite le long de laquelle le canal du Midi semble s’étirer à l’infini.

Ça commence à sentir la mer par ici. Mes narines frémissent. Les abords du canal sont franchement sauvages, la végétation semble s’être concentrée sur les berges, à la recherche d’humidité et de fraîcheur. Certains arbustes, les pieds dans l’eau, forment des sortes de petites mangroves ici et là.

Point kilométrique 225

À Vias, je rencontre l’une des dernières prouesses techniques que je croiserai pendant mon périple. Il s’agit des ouvrages du Libron (1858), qui forment une structure de barrage assez particulière sur le canal, et qui bizarrement ne comptent pas comme une écluse. Leur but : rendre possible la navigation au niveau de ce point (houleux) d’intersection des deux cours d’eau. En effet, le Libron, gentil ruisseau, peut se transformer en véritable torrent. Il a causé, avant l’installation du système, de nombreuses interruptions de navigation des barques sur le canal.

Je vais tenter d’expliquer ce que j’ai compris de leur fonctionnement, même si je n’ai pas Bac+12 en hydrodynamique. Mais tout d’abord, laissez-moi m’enthousiasmer pour la jolie banquette, toute en courbes, qui a été aménagée des deux côtés du canal !

Pour commencer, tel le Moïse du canal du Midi, l’ingénieur Jean-Urbain Maguès a séparé les eaux du Libron en deux. En fait, le lit du fleuve a été modifié et divisé en deux branches, qui croisent le canal de manière perpendiculaire.

Sur la photo de gauche, le canal passe sous une première série d’arches correspondant à un premier sas, avant d’en rejoindre un autre, sur la photo de droite. Chacune de ces deux sas correspond à l’un des deux bras artificiels du Libron. Entre les deux se trouve un bassin intermédiaire.

Sur le dessous, plein de bazar : des rails, des roues, des engrenages, des contrepoids… À défaut de comprendre leur utilité / fonctionnement, je peux imaginer qu’au XIXe, avant l’électronique et tout le tralala, il fallait quelques hectolitres d’huile de coude pour manipuler l’ensemble de ces mécanismes.

C’est l’été, et le débit du fleuve est au plus bas. En cas de crue, on coupe le débit du Libron, un bras après l’autre, en fermant des vannes. Les embarcations peuvent ainsi franchir les ouvrages, un sas après l’autre. Sur la photo de gauche, on voit les mécanismes permettant de fermer et d’ouvrir les vannes, du côté par lequel arrive le Libron.

En aval du fleuve, les bâches, sortes de portes coulissantes, sont actionnées pour libérer les flots du Libron. C’est par là que l’eau s’écoule lorsque les vannes sont fermées de l’autre côté.

Les ouvrages du Libron sécurisent donc la navigation des bateaux sur le Libron, mais ils permettent également de limiter les dépôts de limon et de sables, et le charriement de branches et autres débris lors des grandes crues du fleuve.

Pourquoi pas un aqueduc ou un pont-canal comme ailleurs, me direz-vous ? Et bien en fait, l’altitude du Libron est basse, quasi au niveau de la mer, hors crue. Le canal, quant à lui, se situe juste à peine au-dessus. Du coup, impossible de faire passer le Libron sous le canal (en plus, il n’y a pas de dénivelé dans le coin).

Pas tout à fait remise de cette plongée savante dans les sciences techniques du XIXe siècle qui m’a arraché mes derniers neurones disponibles, BIM ! Je me prends un bel anachronisme en pleine figure : au milieu de la pampa surgit la silhouette d’un Grand Huit !

Je longe Europarc, un grand parc forain installé à l’année à Vias. Ce qui éveille immédiatement en moi des odeurs de barpapapa et de churros, et des envies de dépenser mon argent de poche en auto-tamponneuse, en tir à la carabine et en jeu de grappin.

Plus sérieusement, je commence a subir les effets d’un bon coup de chauffe à force de marcher sous le soleil de midi. Il est temps que je fasse une pause. À hauteur d’un pont moderne, tout moche, le chemin de halage s’arrête brusquement. Je dois franchir les barrières de sécurité et marcher sur le bas côté de la route.

Juste après, un pont tout en couleur : le pont de Jonquié. Il a a priori été construit en 1676, donc en même temps que la série d’écluses entre Béziers et la Méditerranée. Encore un pont original dans ce secteur.

pont coloré vias

Enfin un peu d’ombres ! Et dans l’air, un doux mélange de parfums de garrigue et d’embruns. Quelques chevaux me dépassent, et je croise une jolie pénichette sur laquelle est reproduit un dessin du Petit Prince de Saint-Exupéry. J’avance encore un peu et réalise que je viens de me planter de chemin ! Le canal tournait au niveau du pont, et j’ai continué tout droit ! Trop de soleil sur ma tête fatiguée…

péniche petit princechevaux vias

En fait, je progresse le long d’un bras du canal du Midi qui part se jeter dans la Méditerranée au niveau de la plage de la Farinette, à Vias. Les couleurs marines, au loin, la promesse d’une baignade dans la mer…

Je ne résiste pas ! Je déboule sur la plage, abandonne mon sac aux bons soins d’une petite famille et pars me jeter dans les vaguelettes toutes fraîches !

pont viasmer au loin vias

Je m’ébroue après quelques longueurs et beaucoup de trempette extatique, renfile short, t-shirt, remise les socquettes sur mes épaules et rebrousse chemin direction le canal. Ce détour de 3 kilomètres en valait largement la peine !

chemin vers la mer viascarrefour vias

Me revoilà sur le chemin de halage. Je tombe à nouveau des épanchoirs, certains à peu près en état, d’autres qui auraient besoin d’une bonne restauration : les gardes-fous sont à moitié arrachés, les tabliers effondrés, certaines pierres sont fendues en deux.

épanchoirépanchoir chemin de halage vias

Je retrouve un regain d’énergie après la baignade rafraîchissante. Alors je commence à brailler des sambas sur le chemin désert. Ça faisait longtemps !

chemin de halage viaschemin de halage vias

Je dépasse une série de plots d’amarrage en pierre basaltique, deux ponts de facture moderne, puis un ancien pont-rail, qui reliait jadis Vias à Lodève (58 kilomètres), notamment pour le transport des productions viticoles. Créée en 1863, la ligne de chemin de fer a été supprimée au fur et à mesure, après guerre. On peut aujourd’hui faire du pédalorail sur une portion désaffectée, du côté de Saint-Thibéry.

bornes basalte chemin de halage viaspont rail structure ancienne vias

Comme souvent, des trace des passages de cordes de halage sont visibles sous le pont. Un peu plus loin, une petite passerelle est quant à elle à moitié grignotée par la végétation.

trace de cordages pont rail structure ancienne viaspasserelle metallique vias

Je quitte progressivement Vias et entre sur le territoire de la ville d’Agde. La marque des vents marins commence à se faire plus distincte : herbes folles et branches des arbres se courbent pour former des sortes de voûtes végétales.

chemin de halage champêtre à viaschemin de halage champêtre à vias

Je réalise que cela fait un moment que je n’ai croisé ni vélos, ni bateaux, ni promeneurs, en dehors de mon détour en direction de la plage.

Encore un déversoir puis se profile devant moi le pont des Trois Yeux (qui à l’origine se dénommait pont Saint-Joseph). Contemporain de la construction du canal, il est le seul à posséder trois arches : la principale pour les bateaux, puis deux petites sur les côtés : une pour le chemin de halage, et la dernière… Pour laisser passer l’eau, a priori ! Ou simplement pour permettent aux petites barques de passer lorsque de plus imposantes sont en manœuvre.

épanchoirpont à trois arches

Encore un épanchoir (ou un déversoir). Juste après, la végétation de la garrigue ploie à nouveau ses branchages pour former une voûte le long du chemin.

épanchoirtunnel chemin de halage vers vias

Puis j’aperçois des bateaux de plaisance. Sans que je m’en rende vraiment compte, je suis parvenue à destination, dans le petit port d’Agde.

C’est au niveau de cette darse que s’achevait (ou débutait) le périple de la barque poste transportant les voyageurs sur le canal de Toulouse à Agde, dont j’ai souvent parlé ici. Les anciens bâtiments administratifs du canal du Midi (moitié du XVIIIe siècle), imposants, témoignent de cette période de grande activité commerciale.

port avant agdebatisse quai agde

Point kilométrique 231

Une petite capitainerie flottante a été aménagée sur les quais. Je demande mon chemin, car je dois prendre un bus direction Agde Plage, et je ne sais pas où se trouve l’arrêt. Je continue encore un peu pour voir l’écluse ronde d’Agde. C’est un carrefour, un rond point nautique qui permet d’accéder au canal du Midi et de se diriger vers l’Hérault, qui longe la ville. Je fais deux photos à la va-vite, et presse le pas pour essayer de trouver le fameux bus.

Je suis accueillie ce soir par une couchsurfeuse, Claudia. Claudia nage en mer trois heures par jour, aussi il est impératif de se présenter chez elle avant 18h, ou de patienter jusqu’à son retour après 21h.

écluse de agdeecluse ronde agde

Le moment de bascule

Je cherche en vain un arrêt de bus censé se trouver en amont de la gare. Voyant l’heure tourner, je sprinte finalement jusqu’à la gare dans l’espoir de l’attraper à cet endroit-là. Je tourne au milieu des nombreux arrêts (tout est très mal indiqué) et finis par repérer le bon. Je suis pile poil à l’heure… Mais le bus ne pointe pas le bout de nez. Il est peut-être en retard. Au bout d’une demi-heure, je me rends à l’évidence : j’ai raté le dernier bus qui pouvait m’amener chez Claudia à temps.

Pour couronner le tout, je n’ai plus de batterie. Je me traîne jusqu’à la terrasse d’un troquet, un peu dépitée. Je m’offre un Perrier glacé, puis une bière. J’enfile mes sandales, recharge mon téléphone et mes gourdes, puis discute un moment avec le serveur. Et je fais le point : je n’ai pas du tout envie de poireauter trois heures en ville. En fait, j’en ai marre. Marre de marcher. Je suis fatiguée. J’ai envie de que tout ça se termine.

J’appelle des amis toulousains, avec qui je vais passer quelques jours à Sète à partir du lendemain soir. Ils sont déjà arrivés. J’hésite. Puis je me lance. Je les rappelle : j’arrive. Je laisse un message à Claudia : je termine mon périple ce soir. Je jette un coup d’oeil à l’heure : c’est jouable, je peux arriver à l’étang de Thau juste avant la nuit. Mais il ne faut pas que je tarde.

J’essaye de ne pas penser au nombre de kilomètres que j’ai parcouru (28) ni à ceux qu’il me reste à faire (13). Allez, je me lance !

ecluse ronde agdeecluse ronde agde chemin bucolique

Point kilométrique 232

Je rejoins le canal et continue ma route par un joli chemin bordé de fleurs. Je suis en train de longer l’Hérault : le fleuve communique en effet avec le canal sur quelques kilomètres. J’arrive assez vite à l’avant-dernière écluse, celle de Prades, qui fait obstacle à l’Hérault afin que ce dernier ne se déverse pas dans le canal.

ecluse ronde agde cheminecluse guinguette

Des éclats de rire et de la musique me parviennent. Les bâtiments de l’écluse ont été transformés en guinguette au bord de l’eau. Sympa comme spot !

ecluse guinguetteecluse guinguette

Mais ce n’est pas l’heure de l’apéro pour moi. Je presse le pas pour parvenir à la pointe des Onglous avant que le jour ne décline totalement, histoire de profiter de la vue sur l’étang de Thau. En chemin, je fais une belle rencontre avec une petite dame adorable. Nous marchons côté à côte quelques kilomètres en bavardant. Elle me raconte qu’elle se promène seule dans le coin, tous les soirs, histoire de faire le vide de la journée, et le plein de garrigue.

chemin solo halage canal du midichemin solo halage canal du midi

Point kilométrique 235

Elle me quitte à hauteur d’un dernier épanchoir et de la dernière écluse, celle de Bagnas, du nom de l’étang qui borde le canal. J’ai un petit pincement au cœur : la fin de l’aventure est en train de devenir un peu plus proche, plus réelle.

pont passerelle modernedernière écluse

Je profite de la belle lumière de fin du jour, qui enrobe tout autour de moi. Cette lumière si particulière du sud de la France, qui m’a tant manquée pendant mes années parisiennes. Je respire à plein poumons les effluves odorantes : petits résineux, plantes aromatiques et au loin, la promesse de la mer.

dernière éclusedernière écluse

Je suis seule au monde, au milieu des herbes folles, sur un chemin désert, qui se transforme peu à peu en sentier.

Je ressens une grande émotion : la marche va s’arrêter dans peu de temps. J’ai toujours eu du mal avec les choses qui s’achèvent. J’imprime chaque instant, chaque fraction de seconde dans ma mémoire : le rythme de mes pas, la légère brise marine qui fait danser la végétation, les oiseaux qui redeviennent bavards à mesure que je m’éloigne des zones d’habitation…

Le paysage se transforme à nouveau, et l’horizon réapparaît. La lumière décline doucement. La tranquillité et le silence, entrecoupés de quelques vols d’oiseaux, autant de cadeaux qui me sont offerts pour ces derniers instants de solitude.

Bientôt le retour à la vraie vie. J’essaye de ne pas trop y penser. Mon corps est mû par une double contradiction : l’envie de ralentir pour profiter plus longuement de ces moments, et l’impatience de franchir la ligne d’arrivée.

Je dépasse quelques maisonnettes, puis le dernier pont du parcours.

De l’autre côté du pont, la dernière ligne (presque) droite. J’hésite : deux chemins longent le canal, sur ses deux rives. Celui de droite mène au phare des Onglous, l’autre au petit port du même nom.

J’avance sur la route qui mène au phare, mais en voyant le petit sentier sur l’autre berge, au milieu des eaux, je me ravise, fais demi tour et change d’itinéraire.

La vue est juste sublime : une mince bande de terre et d’herbes séchées par le soleil, et tout autour, de l’eau. J’en ai presque les larmes aux yeux !

Dernière bâtisse avant l’étang, la maison du Canal, datant du XVIIe siècle. Remaniée et agrandie au fil des années, elle accueillait autrefois les écuries, les réserves et les logements du personnel. Elle abrite désormais une école de voile (Les Glénans).

Le ciel rougeoie. Il me reste à peine assez de batterie pour indiquer à mes amis que je suis arrivée, puis je mets le téléphone en mode avion pour pouvoir faire quelques photos.

Je n’arrive pas à détacher le regard du phare des Onglous, où les eaux du canal et de l’étang se mêlent définitivement. Puis je vais tout au bout de la jetée pour admirer le spectacle du coucher de soleil sur l’étang de Thau.

Je ressens à la fois une sensation d’accomplissement, et de vide sidéral. Je suis têtue ; je l’ai fait. Partir en vacances depuis le seuil de ma porte. Parcourir en 10 jours un trajet qui ne demande que 2h15 de transport en voiture.

Je me sens bien. Fatiguée, relâchée. Ne pensant à rien. Juste dans l’instant présent, à regarder les vaguelettes jouer sur les rochers en rebondissant, les oiseaux espiègles qui planent au dessus de moi, le pourpre de la fin du jour. Tt la nuit d’été qui va bientôt bientôt tout envelopper…

Tout savoir sur ce projet de micro-aventure : par ici.

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